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Quand le monde vacille :
4 sources d’espérance pour les leaders d’aujourd’hui

Comment résister devant le désespoir profond, la dépression collective, la perte de sens de nos vies personnelles et professionnelles ?

Certains se replient sur eux-mêmes, d’autres fuient la réalité par les addictions ou la recherche d’émotions fortes. Pourtant, les plus courageux — ou les plus fous — cherchent à devenir des points d’appui dans la tempête : ils affirment leurs valeurs et s’engagent. Ils sont nourris d’espérance. Comment la définir ? D’où vient-elle ? La réalité économique et sociale frappe durement ; l’espérance est-elle encore audible dans le monde de l’entreprise ? Ne devient-elle pas parfois une injonction ou une échappatoire ?

Je précise d’emblée mes biais : je suis ingénieur, catholique, engagé socialement, et coach d’équipe spécialisé dans l’intelligence collective. Touché par le désespoir qui grandit autour de moi, dans le monde de l’entreprise et au-delà, je cherche à comprendre comment faire (re)naître l’espérance. Mon optimisme naturel me pousse à croire que c’est possible.

Cet article décrit de manière concrète quatre sources d’espérance que j’ai vues fonctionner dans ma vie personnelle et dans les entreprises que j’accompagne : la contemplation & la gratitude, l’action, la relation, et enfin le sens & la foi.

Revenez vers moi avec les vôtres !

Qu’est-ce que l’espérance ?

Dans son sens commun, l’espérance est un sentiment de confiance en l’avenir, qui porte à attendre avec confiance la réalisation de ce qu’on désire. Contrairement à l’espoir — plus rationnel et calculé — l’espérance s’ancre dans la foi : foi en soi, foi dans les autres, en encore foi en Dieu. Gabriel Marcel explique que l’espoir a un objet (« j’espère quelque chose ») tandis que l’espérance n’en a pas (« je vis dans l’espérance »).

L’espérance n’est pas un optimisme naïf à la Don Quichotte. Comme le rappelle Adrien Candiard (moine dominicain vivant au Caire) dans Veilleur, où en est la nuit ?, elle naît d’un regard lucide posé sur la réalité, même dans la crise et l’incertitude.

Nous n’avons pas peur de la nuit grâce à la conviction profonde que la lumière reviendra avec le matin. Quand tout semble aller de mal en pis, nous sommes quelques-uns à s’investir ici et maintenant porté par cette espérance.

Mais l’espérance atteint ses limites lorsqu’elle devient une injonction ou glisse vers une « tyrannie de la positivité ». Comme le développement personnel à l’excès, elle peut conduire à l’épuisement. Les fanatiques religieux ou les dictateurs sont habités d’une croyance extrême mais est-ce de l’espérance ?

Toutes les traditions parlent d’une espérance positive qui pousse à l’action :

  • Dans le Christianisme : L’espérance est l’une des trois vertus théologales (c’est à dire qui a Dieu pour objet), avec la foi et la charité. Elle est au cœur du Jubilé 2025 – lire la bulle d’indiction « Spes non confundit » (l’espérance ne déçoit pas). Aux chrétiens qui gardent un regard lucide sur la réalité, l’espérance offre la capacité à faire face aux épreuves et aux incertitudes de la vie avec une perspective d’éternité (à comprendre comme intemporalité) . Les chrétiens sont portés par la présence de Dieu en eux comme source d’Amour.
  • Dans le Judaïsme : tikvah (תקווה), elle est enracinée dans l’histoire et la fidélité de Dieu. [Réf – Livre de Job]. « Dieu nous donne la capacité d’agir », selon les mots du Rabbin Yann Boissière, auteur du livre « Le devoir d’espérance – Faire face à la crise spirituelle » (éd. Desclée de Brouwer, 2024).
  • Dans l’Islam : raja’ (الرجاء), elle est la confiance dans la miséricorde divine. Elle est comme une force intérieure qui pousse le croyant à avancer, même lorsque les chemins se couvrent d’ombre.
  • Le Bouddhisme propose une “espérance sans Dieu”, tournée vers la transformation de la souffrance. La foi (Śraddhā) est la confiance dans la voie, le Dharma et la possibilité de l’éveil.

Dans l’entreprise, dominée par les plans, les chiffres, les objectifs, l’espérance n’a pas vraiment sa place ; on la remplace souvent par le mot « sens ». Elle est considérée comme un facteur de motivation intrinsèque interagissant avec les « raison d’être », « mission » et « vision » de l’entreprise.

Quelles sont les conséquences de l’espérance ?

Dans l’entreprise, l’espérance et les capacités psychologiques positives (espoir, optimisme, résilience) génèrent des impacts organisationnels largement positifs, mais à condition qu’elles s’ancrent dans la réalité observable. Une méta-analyse portant sur 51 études indépendantes et 12,567 salariés montre que le psychological capital (PsyCap) – dont l’espérance est un composant clé – corrèle significativement avec les attitudes et comportements souhaités : satisfaction au travail (+), engagement organisationnel (+), comportements de citoyenneté (+), et réduction drastique des intentions de départ.

Cependant, ces bénéfices se transforment rapidement en risques aigus lorsque l’espérance devient injonction ou déni de réalité structurelle. Les recherches de Byung-Chul Han et Barbara Ehrenreich révèlent un phénomène critique : la culture « positive » en entreprise peut masquer l’exploitation systématique et l’auto-exploitation chronique.

Alors, que faire pour faire naître ou renaître l’espérance de manière juste et positive ?

Quatre sources d’espérance

Comme le démontrent les ateliers immersifs de Teamersive, avec l’altruisme, l’espérance fait partie des notions immatérielles qui sont les seules à subsister lorsque l’on est sous stress, ou que l’incertitude est trop forte. Objectifs, retour sur investissement, hiérarchie, plans et procédures s’effacent de notre mémoire et ne dictent plus nos actes.

Pour être à la fois efficace et robuste, nous sommes donc invités à identifier et à cultiver les sources de ce qui résiste à la crise. Lisez notamment le dernier post de Pedro Correa à ce sujet.

Voici les quatre sources d’espérance actionnable selon moi. En fonction de sa personnalité et ses aspirations, chacun.e pourra choisir sa ou ses préférées.

  1. Contemplation et gratitude : réapprendre à voir

Contemplez !

Contempler, ce n’est pas seulement regarder : c’est se laisser toucher par ce que l’on voit. Cela signifie qu’il faut se poser, arrêter de FAIRE comme nous le conseille Paul Claudel. En prenant le temps simplement de respirer et de laisser nos sens en éveil, il devient possible d’identifier chaque jour trois petites choses positives. Cela change la manière de percevoir le monde et ravive l’espérance.

Mon propre mantra est né lors de la contemplation d’un torrent de montagne : « Je suis l’eau de la rivière dont la source est inépuisable, toujours identique et toujours différente ». En forêt, toucher un arbre centenaire me rappelle que la stabilité existe, même dans un monde instable.

En entreprise, la contemplation est un levier de recul : Comment vos collègues interagissent-ils ? Quelle énergie circule dans la salle ? Cet œil attentif permet de mieux comprendre ce qui vit vraiment dans un système.

Les neurosciences confirment que la gratitude dirige l’attention vers le positif et réduit le stress. Elle augmente la production de dopamine et sérotonine, réduit le cortisol (hormone du stress).

Pratique professionnelle simple :

  • Commencez une réunion par le partage d’une réussite collective ou par un tour de table sur les fiertés de chacun.
  • Terminez la semaine en remerciant chaque personne pour une contribution précise.
  • Un simple « merci » crée une dynamique de confiance.

Parmi les penseurs qui vantent la gratitude, citons Martin Seligman, le cofondateur de la psychologie positive, Robert Emmons dont les travaux corroborent que la gratitude renforce les relations et le bien-être ou Magda Hollander-Lafon, rescapée des camps d’extermination qui décrit aussi l’espérance.

  1. L’action : l’espérance en mouvement

Engagez-vous : dans une association, un club, un projet local, ou simplement dans votre famille. Ne cherchez pas la performance : cherchez la robustesse du système que vous contribuez à faire évoluer. L’action — individuelle ou collective — génère par elle-même de l’espérance.

Si l’action tournée vers les autres vous intimide, alors libérez votre créativité : peinture, écriture, bricolage, dessin.

Le premier pas est toujours plus efficace que l’attente. Comme au restaurant lorsqu’on cherche des toilettes invisibles : on se lève, on avance, et on finit par trouver.

C’est par l’action que l’on apprend. Apprendre c’est aussi gagner confiance en soi, élargir son monde des possibles et donc voir plus loin, en confiance : des ingrédients de l’espérance.

En entreprise, un petit pas expérimental peut débloquer une situation : test d’une nouvelle pratique, prototype, ateliers créatifs, scénarios imagés, storyboards… L’imagination collective ouvre des voies inattendues et ravive l’enthousiasme. Proposez donc des petits pas réalistes et sur le court terme (moins d’un mois) et montrez le chemin parcouru, les compétences acquises, avec lucidité.

Quelques auteurs qui soulignent que créer engage vers un avenir meilleur et nourrit l’espérance :

  • Hannah Arendt souligne que « seule l’expérience totale de cette capacité [à agir] peut octroyer à l’espérance et à la foi, caractéristiques essentielles de l’existence » [Réf].
  • Elizabeth Gilbert (Big Magic) valorise l’exploration créative comme acte d’espoir.
  • Julia Cameron (The Artist’s Way: A Spiritual Path to Higher Creativity) voit la création comme un acte de foi et d’espérance.
  • Mihaly Csikszentmihalyi pour lui, l’état de flow (expérience autotélique) implique engagement et transformation positive.
  • Le philosophe Ernst Bloch [Réf], Philosophe marxiste, auteur du « Principe Espérance« , parlait d’« utopie concrète » comme acte d’espoir collectif.
  1. Les relations : l’espérance circule par les liens

Quelques attitudes dirigées vers la relation sont génératrices d’un climat de confiance car l’espérance se transmet par contact, comme une chaleur. La relation en tant que signal social n’est jamais neutre, elle est porteuse d’humanité : avant d’inviter des amis, puis des amis d’amis, dire bonjour à ses voisins ou collègues est déjà positif.

La relation peut se transformer en service : accueillir les plus fragiles, donner de son temps en aidant sans rien attendre en retour sont des sources de bonheur bien plus puissants que de regarder les chiffres de son compte bancaire.

La relation c’est aussi oser partager ce que l’on vit, ce qui nous inspire même simplement. Cela permet d’engager la conversation, d’inviter l’autre à rejoindre un mouvement ou d’argumenter sur un point de vue.

La dimension ultime de la relation est la réconciliation. Le pardon permet de relâcher une tension, repartir sur de meilleures bases. Chaque réconciliation resserre les liens entre deux individus. Marié depuis plus de 20 ans, j’en expérimente les bienfaits régulièrement. Et vous?

En entreprise, après avoir mis en place une atmosphère propice à la relation, je vous propose d’essayer le questionnement appréciatif, l’art de poser des questions qui génère une énergie positive. Exemples de quelques questions appréciatives :

  • « Qu’est-ce qui te donne de l’énergie ? »
  • « De quoi es-tu le plus fier ces derniers jours ? »
  • « Quel collègue t’a aidé récemment ? »

Parmi les auteurs inspirants sur le thème de la relation, Brené Brown défend la vulnérabilité comme source de connexion humaine et Carl Rogers prône l’accueil sans jugement, l’écoute active, l’empathie et l’authenticité pour créer un climat de confiance.

En juin 2013 paraissait un petit livre intitulé Manifeste convivialiste « Du convivialisme comme volonté et comme espérance » signé par 64 intellectuels français ou étrangers. Qu’est-ce qui réunit ces auteurs d’inspirations idéologiques très variées ? Trois certitudes au moins : 1) qu’il y a urgence à mettre en avant et à expliciter tout ce qui unit plutôt que ce qui sépare ; 2) que nous ne pouvons plus espérer faire reposer l’adhésion à la démocratie sur de forts taux de croissance du PIB, devenus improbables ou délétères ; 3) que notre défi principal n’est pas tant d’imaginer des solutions techniques, économiques et écologiques à la crise, que d’élaborer une nouvelle pensée du politique. Il s’agit, en somme, de faire renaître l’espérance pour qu’elle puisse nourrir la volonté. Sur le même thème je vous conseille de relire aussi « La société des liens » de la fabrique Spinoza.

  1. Le sens et la foi : l’ancrage profond

L’espérance naît quand nous percevons que notre vie — personnelle ou professionnelle — s’inscrit dans quelque chose de plus grand. La profondeur, le sens de ce que l’on vit servira donc de socle à l’espérance. En 1968, dans son ouvrage « l’épreuve« , Maurice Bellet explore la confrontation radicale de l’individu avec le vide, la perte de sens et la souffrance. Il y définit l’espérance non pas comme un sentiment réconfortant, mais comme ce qui survit au milieu du désastre. La méditation bien connue sur les 4 bougies (Paix, Foi, Amour et Espérance), ancre dans notre culture une espérance qui reste quand il ne reste rien et qui permet de rallumer d’autres flammes.

Pour les croyants, cela passe par la foi ; pour d’autres, par la philosophie, la méditation, ou une quête intérieure. L’essentiel est d’entrer en dialogue avec ce qui nous dépasse, sans en devenir esclave. Dans Etudes, Anne Lécu écrit : L’espérance chrétienne ne nie pas la croix, mais la contemple… car il se peut qu’au matin le tombeau soit vide et plus mystérieux encore, pendant les semaines qui vont suivre , ce grand trou de l’histoire, il se peut que les disciples couards deviennent courageux.

J’avais 35 ans quand j’ai pu verbaliser ma mission de vie : « aider les Hommes à devenir plus humains et les organisations plus collectives ». Cette mission donne du sens à mes actes et me sert de boussole chaque jour. Elle ne m’enferme pas, elle est mon « cadre ouvert », source de l’espérance que je peux donner le bon autour de moi même dans les moments difficiles.

En entreprise, mes 25 ans d’expériences m’ont montré que les équipes qui résistent le mieux aux crises sont celles qui sont composées de membres matures (qui connaissent leur capacités) et qui peuvent répondre collectivement aux questions porteuses de sens telles que :

  • Pourquoi faisons-nous cela ? En quoi cela contribute-t-il au monde ?
  • Pour qui le faisons-nous ?
  • En quoi notre démarche est-elle alignée avec nos convictions ?

Vision, mission, raison d’être ne sont alors pas des posters : ce sont des sources d’ancrage.

Références inspirantes sur le lien entre spiritualité et société :

  • Charles Taylor, Philosophe canadien, auteur de « A Secular Age » (2007) analyse la fermeture progressive de l’horizon spirituel
  • Rémi Brague plaide pour un retour aux fondements humanistes incluant la transcendance.
  • Viktor Frankl, auteur de « Man’s Search for Meaning ». Pour lui, le sens est effectivement le moteur de survie et d’espérance.

Limites et pièges de l’espérance

Si l’espérance est un puissant moteur de sens et de résilience, certains contextes – restructurations, scandales éthiques, crises personnelles, obstacles systémiques – peuvent la rendre illusoire ou contre-productive. La psychologue Susan David parle alors de « tyrannie de la positivité » : une pression à rester optimiste qui invalide les émotions légitimes et culpabilise ceux qui manquent d’espoir. Barbara Ehrenreich, dans Bright-Sided (2009), montre comment cette injonction a infiltré entreprises et institutions, occultant les signaux d’alerte (comme avant 2008) et transformant l’espoir en responsabilisation des victimes.

Byung-Chul Han, dans Burnout Society (2015), décrit une culture d’auto-exploitation où chacun devient « projet de lui-même ». L’espérance en une transformation personnelle peut alors mener à l’épuisement lorsque les obstacles sont systémiques plutôt qu’individuels. Schopenhauer et Camus, chacun à leur manière, partagent cette critique : pour le premier, l’espérance masque une souffrance inévitable ; pour le second, elle doit céder la place à une révolte lucide face à l’absurde.

Plusieurs écueils guettent donc les praticiens de l’espérance :

  1. Le déni de réalité, qui paralyse face aux vrais changements structurels à conduire ;
  2. La culpabilisation des victimes, qui insinue que la pauvreté ou l’injustice reflètent un manque de foi ;
  3. La conversion de l’espérance en outil de contrôle, où organisations et sociétés utilisent l’optimisme forcé pour normaliser le surmenage ;
  4. L’espérance tournée vers soi et nourriture à son ego.

Pour les managers, le défi consiste donc à cultiver l’espérance lucide : celle qui reconnaît les obstacles réels, légitime le doute et la colère, et traduit l’espoir en actions ancrées dans des changements concrets. L’espérance ne sera jamais l’illusion que le seul changement d’attitude suffit ou que le problème se trouve au fond de chacun. C’est une espérance qui n’est pas « contre » mais qui est tournée vers le positif, c’est à dire « avec ». Elle revient à remplacer le OU en ET.

Conclusion pour les leaders

Face aux incertitudes économiques, humaines ou technologiques, votre rôle n’est plus seulement de piloter des plans : il est d’ouvrir des possibles. L’espérance lucide — celle qui regarde la réalité telle qu’elle est, sans naïveté mais sans renoncement — est devenue une compétence clé du leadership.

En tant que manager, vous êtes souvent le premier exposé aux tensions, mais aussi le premier capable d’en transformer l’énergie :

👉 par un regard plus attentif, un geste simple d’encouragement,

👉 un lien retissé au bon moment,

👉 une communication ou une décision qui redonne du sens.

Vous ne pouvez pas « donner » de l’espérance à vos équipes. Mais vous pouvez créer les conditions pour qu’elle renaisse : un climat de vérité, de confiance, de dignité et de sens partagé.

La question n’est donc plus « Comment inspirer mes équipes ? » mais :« Comment être, moi-même, une source d’espérance réaliste et contagieuse ? »

Ce leadership humaniste est celui qui marque les époques et transforme les organisations — parce qu’il commence par transformer les personnes.

Au plaisir d’en discuter avec vous et/ou recevoir vos meilleures outils ou attitudes générateurs d’espérance.

Christophe Oudot – Décembre 2025